Piano. La lune qui brille dehors. Allongé sur mon lit, comme un déchet. Jean, tee shirt. Fenêtre grande ouverte. Casque sur les oreilles, je regarde dehors. Le vent fouette mon visage. Y’en a beaucoup. Un vent frais. Rafraichissant. Délicate annonce de la pluie à venir. De l’orage. Envie de sortir tiens. Eteindre l’ordinateur. Prendre des écouteurs. Mettre la musique sur le portable. Fermer la fenêtre. Prendre le blouson.
Partir. Simples instru’ de piano dans les oreilles. Partir, au gré du vent. Les musiques, c’étaient des compositions personnelles d’une amie. Musiques tristes. Parfaitement adapté. Le vent qui fouette mon corps, en rafale. Agréable, dans la chaleur de l’été. Mains dans les poches. Débraillé comme seuls les ados savent le faire.
J’me ferais presque pitié tiens. Coup d’œil à ma montre. Car oui, j’ai encore une montre. Et une classe avec ça. 21H02 En espérant qu’elle serait là. La fille en noir. Comme tous les soirs.
On avance. Dans l’obscurité. J’allais quelque part, un endroit que je pensais être le seul à connaître, ou du moins à fréquenter, il y a une semaine encore. Un toit. Un simple toit d’une vieille baraque en ruine. Avec une vue régulière sur la Lune. J’en demande pas plus. Du coup, j’en suis venu à squatter l’endroit. D’abord toutes les semaines, puis, progressivement, tous les soirs.
Quelque soit le temps. C’était inconscient. L’endroit m’attire, inexorablement. J’ai toujours pas compris pourquoi. Et au fond, je m’en moque. Le prochain coup, j’ramène le thermos de café, tiens. Ca me permettra de rester plus longtemps. Peut-être que la fille en noir en voudra ?
21h06. J’y étais presque. Le vent s’intensifie. J’ai du mal à avancer. Les orages d’été, c’est bien. Ca refroidit l’atmosphère moite. La pluie commença à tomber. Le blouson que j’avais gardé sous le bras passa sur mes épaules. Fine. Pour l’instant. J’escaladais le toit. Facilement. Comme d’habitude. Toujours le piano, entêtant. Rythme et mélodie simple, mais tellement efficace.
Et d’une tristesse…
J’prends position, sous la pluie. Assis, sur les tuiles. Mes cheveux commencent à être trempés. 21h12.
La dame en noir arriva. Veste simple, aux manches repliés. Jeans. Cheveux longs, de la même couleur que la nuit. Elle me gratifia d’un sourire aussi lumineux que l’astre solaire. Une lumière dans les ténèbres. Très mignonne. J’souris aussi, du coup. Niaisement. N’importe quoi. Elle s’assied à côté de moi. Silencieuse.
Elle a eut l’intelligence de prendre une capuche, elle. Moi, pas.
« Tu es sur de vouloir rester ? Tu vas attraper froid… »
Signé négatif de la tête. Malade ou pas, ça fait longtemps que je sens plus vraiment la différence. Mal au crâne permanent, Envies de vomir fréquentes. Sommeil chaotique. Maux de ventres. Je suis malade tout le temps, et je le suis jamais. Elle hoche la tête. Puis la met sur mon épaule.
Je connais même pas son prénom. Je sais pas où elle habite. Ni même l’âge qu’elle a. Je sais rien. Absolument rien. Et elle pose sa tête sur mon épaule ? Logique. Elle en savait pas beaucoup plus. Et voulait probablement pas gâcher le mystère. Moi ça m’allait comme ça. J’profitais de l’endroit. De sa présence, aussi. Discrète et délicate. Et très agréable.
Ça m’était arrivé de me perdre en longs monologues interminables, qui souvent, la faisaient rire. Des fois, juste sourire, ou mimer un soupir. C’était cool. Ça me suffisait. Pour que je continue. Pour que je revienne. Sa présence m’attirait plus que le lieu, maintenant. Alors que je venais ici que pour ça, à la base, elle avait subtilement remplacé ce besoin par l’envie de la voir. Pas plus mal.
« On verra pas les étoiles, ce soir. »
Son sourire s’élargit.
« C’est sur. La Lune non plus. Tu vas bien ? D’habitude, tu parles plus. »
Je sais pas. Je suis pas sur de vouloir le savoir. Mon éternel cycle jeux vidéos/lecture/dormir, supposé faire croire aux gens que je m’occupe me fatigue. Quand je suis pas ici, je sais même pas ce que je ressens. Un mélange malsain de faiblesse, d’ennui, de lassitude. Et de mélancolie. J’avais fait mal aux gens que j’aimais. Fait des erreurs incommensurables. Je porte un fardeau que mon esprit malade n’arrive plus vraiment à soutenir.
Mais ici… Tout est différent. J’arrive même à rire. Je ne sais pas. Je sais plus. Mon silence l’intrigua plus qu’une éventuelle réponse, ou semi vérité. Normal. Je ne veux pas réfléchir. J’le ferais plus tard. Le piano, toujours présent dans mon oreille droit devient plus profond. La playlist était conçue pour être de plus en plus immersive, pendant les comas qui me servaient de journée. La tristesse qui s’en dégageait était agréable à ressentir.
« Et toi ? »
Sourire, encore.
« Je suis ici. Ca me suffit. »
Bonne réponse. La pluie s’intensifie légèrement. Comme le piano.
« Tu écoutes quoi ?
-Compo’ d’une amie.
-Je peux ?
-Bien sur. »
Je lui tendis un écouteur. Elle se colla un peu plus à moi. Pas désagréable. Malgré la pluie.
« C’est beau.
-Je lui dirais.
-Elle le sait déjà.
-Elle ?
-Tu as dis une amie.
-Oh, exact. Je ne sais même plus ce que je dis. Si c’pas malheureux.
-Y’a plein d’autres trucs que tu pourrais dire sans t’en rendre compte.
-Ha oui ?
-Bien sur. »
Elle ne développe pas. Remue la tête, délicatement, au rythme du piano. Tss.
« Tu ne te demandes même pas qui je suis ?
-Ton prénom, ton âge… Tout ça ne détermine pas qui tu es. Ton écouteur m’en apprend plus.
-C’est pas faux… Mais ce n’est qu’une partie.
-Et alors ? Je n’aurais de toute manière que des parties de toi. J’préfère faire le puzzle toute seule. Plus intéressant que si tu me donnais toi-même les pièces.
-Et tu n’es pas curieuse ?
-Si. Je suis curieuse, à un point qui pourrait même te surprendre. C’est ce qui te rend aussi intéressant. Je sais pas qui tu es.
-C’est décevant. Je vais donc être inintéressant sous peu ?
-Ca dépend si tu joues le jeu. Pourquoi toi, tu ne m’as pas fait l’interrogatoire classique ?
-Je suis pour l’égalité des infos.
-Mmh. J’en sais plus que toi.
-Ouais. Pas grave. C’est assez rare pour que je l’apprécie.
-Ce qui est rare est cher ?
-On peut dire ça. »
Un regard. Elle était belle, quand même. Délicate aussi. Puis, elle sentait bon. Un détail. Une odeur mentholée. Qui restait, gravée, dans ma tête, bien après que je sois rentré chez moi. Qui restait, et résonnait en moi comme un appel. A revenir. Elle évoquait à elle seule, la douceur et le réconfort. Et restait aussi comme un parfum de regret.
« Tu connais Léa ? Léa Dufour.
-Je connaissais. Une fille qui est restée deux ans, dans ma classe, sans jamais m’adresser la parole.
-Elle se rappelle très bien de toi. Elle m’a dépeint un portrait de toi, plutôt négatif.
-Ow. Donc t’en sais biiien plus sur moi que tu le disais.
-Nom, prénom. Et âge.
-Nom, tout ça, c’est pas négatif en soit.
-Elle trouve que tu es asocial, avec un humour foireux, et que tu n’écoutes que de la musique de, et je cite « Barbare dépressif. »
-Elle en savait si peu ? Impressionnant. Être aussi peu observatrice. J’me cache pourtant pas.
Elle devint plus sérieuse. Son doux sourire s’estompa.
-Tu te contrefous de son avis, tant qu’il te protège du reste.
Touché. On a tous une manière de se cacher. Pour ne pas montrer qui l’on est. Par peur, ou par convention. Ou un mêlange malsain des deux. Voir mon camouflage percé à jour ne me faisait pas plaisir. Surtout par une quasi inconnue.
-Toi tu l’es trop. Observatrice. »
Silence. Elle se détache de moi. La pluie s’accentue encore. Devient violente. Je suis noyé. Je m’en fous. Sourire. Comme un défi lancé à la nature. La fille en noir ne bouge pas. Toute aussi trempée que moi. Sa capuche avait atteint sa limite. Ses cheveux commençaient à prendre cher. Les miens dégoulinent littéralement. Génial.
« J’aurais pas du le dire, c’est ça ?
-That’s life.
Voyez cet anglicisme de haut niveau ?
-Désolée.
-On s’excuse pas d’être perspicace, en général.
-On s’excuse d’avoir blessé un ami, en général.
-Un ami ? Je ne connais même pas ton prénom. »
Silence. Elle baisse la tête. Blessée, surement.
Le piano s’achève, sur une note d’une tristesse absolue, simple écho de l’âme.
La détresse s’empare de moi, Je ne voulais pas.
Encore.
« Désolé.
-Tu n’as pas tort. Je ne suis pas ton amie. Moi c’est Elena.
-C’est vrai ?
-Possible. Tout comme il est possible que tu t’appelles Damien ?
-Possible. »
C’était pas le cas. Et elle le savait. Elle gardait le mystère. Elle voulait pas savoir. Elle voulait garder à jamais le plaisir de la découverte inachevée.. Elle ne voulait pas plus. Elle ne voudrait pas plus. Jamais.
Le syndrome du bon pote. Celui qui ne reste, officieusement, qu’un bouche trou agréable en plus d’un pilier disponible dans les moments difficiles. Un putain de bouche trou de luxe…
Nightwish. La transition est violente. Sleeping sun. Tout comme mon état d’esprit, l’ambiance musicale change radicalement. La pluie continue. On voit rien. Alors que la vue sur le chemin boisé en contrebas sur fond de couché de soleil ou de nuit claire est si beau, habituellement.
« Tu penses à quoi ? »
Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Je suis qu’un jouet édition grand format, finalement. Un playmobil haute confection. Et ils m’ont même pas doté d’un physique plaisant. J’virerais les mecs du bureau des méthodes, à la place du con qui joue avec le destin. A condition que y’en ait un, de destin, et que tout ça ne soit pas qu’une vaste farce. Déviation de la question, réponse par l’absurde, par l’humour ?
« J’me dis que le jambon c’pas mauvais.
-Quoi ?
-Tout est bon, dans l’cochon. »
Elle éclata de rire. J’avais envie de pleurer.
« Tu sais quoi ? »
Non, mais j’présume que ça sera bientôt le cas. Hochement négatif de la tête.
« J’veux rester ici. Toujours. »
La pluie se ralentit.
« Moi aussi. »
C’était sorti tout seul. C’était vrai.
« Ca te dit, qu’on reste ensemble, toujours ? »
Question innocente. Je plongeais mon regard dans ses yeux. Ca repasse à du piano. La même qui précédait Nightwish. L’éclat noisette de ses yeux me paralysait. Des yeux si beaux…
« Ca te dit que Damien sorte avec Elena ? »
- J’préférais qu’Ethan sorte avec Ambre.
Je souris.
-C’est beau, Ambre.
-Merci.
Elle eut un sourire adorable. Et sur la note ultime du piano, on s’embrassa. Sous une pluie redevenue fine, après avoir tenté de nous noyer. 21H44. Je vis.