Dans la nuit. Sur mon banc. La lune. Pleine. Veille sur moi. Le vent fouette mon visage. Je suis assis sur le dossier du banc. Mes pieds sont sur l’assise. Le piano sur mon téléphone se fond dans la nuit. J’ai pas mes écouteurs. Je subis donc le bruit extérieur. Mais l’ambiance nocturne ne me déplait pas. Sauf quand on s’adresse à moi.
-J’ai pas de clopes, ni de feu. Et je sais pas où c’est.
-Tu sais pas où c’est ?
-Je dis ça au cas où tu me demanderais ton chemin.
Jusque là c’était une voix féminine, qui s’était exprimé.
-Bah toi, t’es pas chiant.
-Merci. On me le dit souvent.
Là, c’était masculin.
-En fait on voulait juste savoir un truc.
-Qui est ? Non, parce que, ce n’est pas que vous me gênez, mais bon, j’aime ma musique, et un peu moins quand on l’interrompt.
-On comprend… Non, mais on compte rester ici, cette nuit, on te dérangera pas ?
-C’est une blague ?
-Bah, euh, non.
-Bien sur. Cet endroit n’est pas à moi, même si je l’avais voulu. J’ai ma musique, donc vous faites ce que vous voulez.
-Merci !
Elle s’exprimait comme une petite fille. Fun. Et moi je passe encore pour le connard égoïste de service. J’étais décidemment taillé pour ce rôle. Je décide donc de regarder la demoiselle. Taille moyenne. Sans talon. Blonde. Cheveux légèrement ondulé. Couleur des yeux inconnue. Probablement bleu. Impossible à voir, dans la nuit. Visage ciselé.
Le mec, maintenant. Taille tout aussi moyenne. Soit légèrement plus petit que moi. Brun. Antéchrist de l’adolescente. Visage carré. Traits plus sombres. Caractère plus dur, plus conflictuel. Différent et complémentaires.
Ils s’éloignèrent.
-Viens sœurette.
Ha. Ca expliquait tout. Au moins ils ne copuleront pas dans mon dos. Parce que si, j’y ai déjà eut droit. L’alcool a des effets très intéressants, la plupart du temps. Désinhiber c’parfois sympathique. Là c’était carrément malsain. Et j’ai pas bougé. J’ai juste poussé le son de mes écouteurs à fond. Dans le genre imperturbable, des fois, je me pose.
Ou je suis totalement atteint, au choix. La lune veillait sur moi. La musique me berçait. Dans une demi conscience, le piano me permettait de mêler rêve et réalité. Planer. Comme le toxicomane a besoin de sa drogue, j’ai besoin de la nuit, et de la musique. Le couple fraternel s’est installé dans l’herbe, derrière moi.
Ils ne disent rien. Se collent, pour lutter dans le froid nocturne. Même froid que je trouve si agréable. L’odeur de l’herbe mouillée, le cadre, l’air frais, qui caresse doucement le visage. Instant où on peut tout oublier. Instant parfait.
-Dis, tu peux mettre autre chose que du piano ? C’est l’anniversaire de ma sœur, et elle veut un truc qui bouge !
-Elle aime quoi, comme musique ?
Je pouvais faire un effort. C’est son anniversaire, hein ? Puis pour une nuit… Si, je devais pouvoir faire ça. Puis il me fait rire, le frère. Avec son absence totale de manière. Il avait au moins le mérite d’être direct.
-Tu veux quoi, soeurette ?
-J’avais rien dis, moi, d’abord.
-Fallait. Alors ?
- Je sais pas moi… Dis, t’aurais pas de la techno ? Ou de la Trance ?
Au moins, j’ai ça.
-Moonlight Shadows, Melody from Heaven, Elements, Right round, Angel of Darkness.
-C’est tout?
-Mon téléphone est pas blindé de musique, désolé. Puis c’pas mon style favori, non plus.
-Angel of Darkness, elle est de Nightcore ?
-Ouais.
-Donc je prends.
-A votre service, madame.
Même pas envie d’être méchant. Préfère rester là. Faire plaisir aux gens, avec un truc aussi simple que de la musique… Ca me va. Puis Angel of Darkness… Elle a bon gout.
-Ca te fais quel âge, du coup ?
-Dix sept.
-Tu deviens adulte !
-Ferme là, fréro.
Tiens, la petite fille cause enfin comme une ado’. S’assombrit. Pas contente ?
-Fais pas cette tête là…
-On en a déjà parlé. Je veux pas avoir dix sept ans.
-T’inquiète, j’t’en aurais donné treize, à ta manière de t’exprimer.
Elle me tendit son majeur en souriant.
-Voilà. Quinze.
Je souris. Elle baisse lentement son bras. Ne se rembrunit pas, et se cale mieux contre son frère. Chanceux . Je commence à me les geler, moi. Il était temps de partir.
-Pas que je m’ennuie, mais j’me casse. Il est un peu une heure du mat’.
-Et ma musique alors,
-J’pensais pas que tu étais de ces lopettes qui se couchaient tôt.
-J’ai pas dis que j’allais me coucher. Et t’avais qu’à ramener ton MP3
-Quatre. MP4.
-La musique est la même.
-T’as qu’à venir chez nous, pour continuer à fêter mon anniv’ !
-Tu proposes à un total inconnu de venir, toi ?
-Parce que tu es dangereux, peut-être ?
-Les enfants sont souvent inconscients du danger. Tu es encore loin d’avoir dix sept ans !
Je me tourne et saute du banc où j’étais. Après tout, j’avais rien de mieux à faire. Et dormir ne m’apporterais aucun repos, de toute manière. La nuit promettait d’être… Intéressante. Changement de musique.
« Here I am, creating love tonight, Here I am, quintessence of life!”
« -C’pas elements, ça.
-En effet. Five elements. Désolé, j’savais plus laquelle j’avais. Et de toute manière, celle-ci est bien plus connue.
-Pas totalement faux.
-Vous pouvez pas mettre de la bonne musique, nan ?
-C’pas toi qui voulais faire plaisir à ta sœur ?
-Si ! Mais y’a des limites à pas dépasser. T’as pas quelque chose de plus viril ?
-J’ai ça…
Metal. Genre bien screamé et son saturé à mort. Mortal Share, que ça s’appelait.
-Bah voilà.
-Le son à fond, c’est apprécié, à une heure du mat’, vous pensez ? En plus des musiques d’une discrétion… Douteuse.
-J’m’en contrefous. On fait que passer.
-Ca me va.
Et on avance. Musique à fond. C’est fou comme quelque chose d’inaudible de jour peut devenir un vacarme assourdissant de nuit. Je commençais à trembler. Pas de froid. On avance. En musique. Certaines personnes nous croisent, et baissent la tête. La peur du groupe, toujours. Surtout à une heure du matin.
-Met un truc plus doux, s’il te plait.
-Mmh.
Grognement vaguement positif, pendant que je cherchais. Guitare électrique avec une voix presque lyrique. Say goodbye. Sons graves, lents.
- Je connaissais pas ça.
-Le genre de musique qu’on met pour les adieux. No ?
-Pour les morts aussi. »
Le frangin éclata de rire. Sa sœur eut un adorable sourire. Je souris aussi.
On arriva chez eux.
Ouverture rapide. Retour sur du Nightcore. Don’t leave me alone.
Mon sourire s’élargit. Maison individuelle. Aucune trace d’éventuels parents. De proches.
« La maison est à vous ?
-Nos parents sont à l’étranger. Ils paient la maison et les études. Du haut de mes dix-neuf ans j’ai trouvé une carte avec retrait d’argent relativement aisé.
-Cool.
-Madison a rien voulu avoir pour son anni’, malgré le fait que je puisse lui acheter n’importe quoi de pas excessif.
-C’est mon droit. Je veux pas avoir dix sept ans ! »
Elle le hurla. Déni absolu. Mon regard se troubla, une fraction de seconde. Dubitatif. Son frère reste prostré. Ses yeux sont voilés. Elle, a carrément les larmes qui lui coulent sur le visage. Carrément. Elle me regarde, comme si elle avait juste oublié ma présence et mon image venait de lui réapparaitre.
« Navrée.
-Faut pas.
-On lui dit ?
-Mat’…
-Comme tu veux.
Cool. Je souris.
« J’ai soif.
-Ha oui, j’te sers tout de suite, tu veux quoi ? Coca, Oasis ? Eau ? Café ?
Elle semblait avoir hâte de se faire pardonner, et était d’une prévenance inégalable, du coup.
-Tu as pensé au café ? Surprenant. Un café. Noir. Bien sucré. Double corsé.
-Bien sucré ?
-Met cinq sucre dedans.
-Ha ouais, quand même. »
J’avais repéré la cafetière Senseo. Elle avait donc la même que moi. Donc le même café, théoriquement. L’ambiance était froide. Mais mon café arriva vite pour réchauffer ma bouche gelée. J’suis resté trop longtemps dehors.
Je mis Requiem For a Dream.
« Comment tu t’appelles au fait ?
Je souris.
-Appelles moi Fata.
-C’bizarre.
-Possible. J’vous laisse.
-Déjà ?
-J’ai bien peur d’être de trop. Adieu ?
-P’t’ête que Madi’ voudra te revoir ?
-Possible. »
Je sortis. Sur le pas de la porte, j’entendis u bruit de chute. Madison venait de tomber. Pas de maladresse. Arrêt cardiaque. Je souris. J’étais L’Ange du destin. Fata. Et cette mortelle méritait d’échapper à ce que la vie lui réservait. Je déployais mes ailes. Qu’est-ce que j’aime, la nuit.