Mes yeux parcoururent l’assemblée. On a toujours les mêmes stéréotypes. Les mêmes attitudes. Médusées, acharnées, endormies. Les élèves qui ont tout donnés, et ceux qui n’ont rien foutu. Et la majorité, qui a comme moi essayé, en se disant que ça passerait. Une minute. Personne d’intéressant ici. Comme dans la majorité des endroits. Ma gorge brûle un peu.
Remise nerveuse des cheveux en place. Expiration. Quatre heure que j’étais assis. Mes jambes me font souffrir. Soif. Après un temps d’attente aussi long, soit je comate, soit mon esprit se perd en digressions existentielles. Deuxième option pour cette fois. Mais qu’est-ce que je fous là ? La grande question. Parce que quand on a m’a laissé le choix, j’ai préféré le cocon de la fac’ à la vraie vie, surement. La fac’, c’est la suite logique. Ecole, collège, lycée. Faculté. A défaut de s’être imposée comme une évidence, rien ne s’opposait à l’idée.
Sonnerie. Soupir de soulagement des masses. On rend les papiers, on sort, et on éclate de rire nerveux. Paix relative, même pour moi. Dans un brouhaha joyeux tout le monde quitta la salle avec empressement. Pas comme si quelqu’un avait envie de rester une minute de plus dans cette salle. J’avais pas la tête à les rejoindre dans leurs dissertations sur comment il s’y était pris, et comment moi j’avais foiré lamentablement parce que y’avait un truc important que j’ai pas mis là, puis que le plan n’était pas bon, que cette notion ne s’appliquait pas là … Pas envie de la fin d’épreuve standard.
Regard à la montre. Inutile. Après quatre heures d’épreuves, on ne pouvait pas être à un autre moment qu’à midi. Sauf que non. Ma très chère montre s’était bloquée à l’heure d’avant. Faudrait qu’on me rappelle pourquoi je la prends encore. Une montre qui arrive à planter deux fois en vingt minutes ne sert définitivement à rien.
Haussement d’épaules. Pas comme si je passais mon temps à être productif. Je fus rejoins par un mec. Même carrure, même âge. Et tout aussi blasé.
« Ca s’est bien passé ?
-Non. Toi ?
-Pareil. Tu as un truc prévu cette aprèm’ ?
-Oui. J’ai toujours, un truc de prévu.
-Glander et lire un bouquin en étant à moitié abruti par le soleil ?
-Possible. Aller, à plus, mec. »
A placer dans les conversations cultes, pour sa concision et son inutilité. La vérité, c’est que j’avais absolument rien de prévu, et ne voulais surtout pas avoir la moindre chose à faire. Les épreuves ont toujours cet effet magique sur moi. Me rendre léthargique. Et il le savait. Le soleil empirait quelque peu la chose. Mes yeux se levèrent vers le ciel. Dans le bleu du ciel, les nuages avançaient paresseusement. Chaleur. Apaisant et agréable. J’ai remis mon sac sur mon épaule, soupiré à nouveau et avancé dehors. M’éloignant de la Fac’. Des gens. Des contraintes. Il faisait beau. La moto était de mise.
J’ai mis le casque et le blouson avec la panthère dans le dos. Rupteur. Rugissement du véhicule. La sensation de liberté que cela procure n’est pas vraiment descriptible. Je me suis engouffré sur des routes presque vides. L’esprit à vider. Devenir sensations. S’engager dans les courbes, sentir le moteur ronronner. Vivre avec la bécane.
J’étais pas sur de là où j’allais. J’étais pas sur de la vitesse à laquelle j’y allais. Mais j’y allais. A une vitesse pas catholique. Ceci suffisait. Je finis par ralentir, puis m’arrêter. J’étais venu, par réflexe, habitude, ou juste par envie inconsciente, à un endroit éloigné de la ville. Limite forêt, c’était au moins un bois. Toujours le soleil, toujours la gorge qui brûle. Retirer le casque, respirer. Mon cerveau s’était mis sur off, et je n’obéissais plus qu’à mes sensations.
Rien de plus reposant. Le vent frôla insolemment mes cheveux qui bordaient mes yeux. Il semblait vivant, susurrant paix et sérénité à qui voulait bien l’entendre. Et je le voulais. Battement dans ma poitrine.
« Tu es venu ? »
Bon, d’accord. En dehors de l’habitude, il y avait surement aussi l’espoir de la voir, qui m’avait poussé à venir ici.
« Nope. Un esprit.
-Casper ?
-Un pote à lui. »
Elle éclata de rire, et daigna apparaitre. Utile de dire que, dans ce cadre-là, elle était très belle ?
« Il fait beau, n’est-ce pas ?
-Mmh. Ca change.
-On est d’accord. J’ai survécu à mes partiels.
-C’est à se demander comment tu as fait.
-Pour tout t’avouer, j’ai pris de la drogue. Pour que le temps me semble plus rapide.
-Tu as foiré ton semestre ?
-Je pense, oui.
-Pas toi qui étais opposé à tout redoublement ?
-C’est la fac’. Pas pire que le lycée.
-Comment tu esquives la question.
-Vrai. Navré de te prendre ta spécialité. »
Petit rire. Un jour, nos dialogues cesseront d’être des matchs de tennis. Ou pas.
« On fait quoi ? »
Bonne question. A vrai dire, rien ne me faisait vraiment envie. M’affaler dans l’herbe et ruiner mes fringues avec le soleil en train de me cramer le visage me semblait une bonne option, en fait. Pas chaud pour la randonnée dans les bois, là.
« Comme tu veux.
-On se balade ? »
Evidemment. Je me suis retourné, j’ai jeté mon sac à côté de ma moto. Au vu de son état de décrépitude et de son vide relatif, je ne me sentais pas vraiment tenter le diable. Puis personne ne passe jamais ici. Une bonne partie de l’intérêt de l’endroit résidait là-dedans, en fait. Soupir réprimé. Pour elle, je pouvais quand même faire un effort.
« Merci.
-Mais de rien, jolie demoiselle.
-Pfeuh. »
Mon cerveau se rebrancha, et profita de notre marche silencieuse pour dériver. Comment je l’avais rencontré. Pourquoi je revenais. Qu’est-ce que je faisais, quand je n’étais pas ici. La synthèse des idées et des sensations n’allaient pas ensemble. Je secouais la tête.
« Ca ne va pas ?
-J’ai foiré mes partiels.
-Pas une réponse ça.
-Ne me prend pas mes répliques, impie !
-Ne me prend pas pour une conne, qu’est ce qu’il y a ? »
Woaw. Vachement directe. Surtout venant d’elle. Pas l’habitude. Je marque bien la surprise sur mon visage. Préparation d’une réponse.
Ma bonne humeur est en vacances. Mauvais.
J’sais pas ce que je fous ici, ma vie est vide de sens et c’est le bordel dans ce qu’il me reste de tête ? Vrai. Trop. Me faut un truc intermédiaire.
« Je réfléchis trop. Toi aussi, d’ailleurs. »
Pas mal. On va dire que ça suffit. En une demi-seconde, je n’aurais probablement pas pu faire mieux. Puis ça ne veut suffisamment rien dire, j’imagine.
« Que veux tu dire ?
-Mmh, tu poses des questions toi maintenant ?
-J’imagine que oui. Tu les évite, toi, maintenant ?
-J’imagine que oui ? »
Yeah, un partout, balle au centre. Je faisais vraiment la gueule à ce point, pour qu’elle l’ait remarqué ? Pas moyen de vérifier, les bois sont pas connus pour l’abondance de leurs surfaces réfléchissantes. La lumière traversait le feuillage de nos amis les arbres. Nous mettait un peu en valeur, dans un univers plus personnel. Plus intime.
« C’est vrai j’ai beaucoup pensé ces derniers temps. »
Ow, ça sentait mauvais ça.
« Et à quoi donc ? »
Mais j’étais vraiment trop curieux.
« Plein de choses.
-Au sens de la vie de l’univers, et du reste ?
-Je connais la réponse à ça. J’ai trouvé mieux.
-Carrément ? »
Woaw. Pire que quarante-deux. J’aurais dû commencer à avoir peur. Mais je ne me méfiais pas encore. Pas assez. C’était trop fourbe. J’étais déjà piégé. Principe du sable mouvant. Quand on se rend compte du problème, il est déjà trop tard. On remplace ma curiosité par les sables, évidemment.
« Et oui.
- Et à propos de quoi tu pouvais bien pensé ?
-Tu arrives à nouveau à poser des questions.
-Tu m’as guéri. C’est magique. »
Petit sourire de la belle, et fête dans mon ventre. Toujours le soleil, toujours la gorge qui brûle.
« Tu sais pourquoi je viens ici ? »
Non, mais si ça peut te rassurer, moi non plus.
« Non, mais tu vas me le dire ?
-Je pensais que je venais par habitude. Mais c’est pas ça.
-Je me doutais un peu. Aurait-on un point commun ?
-Impossible. »
Nouvel éclat de rire.
« Alors. Pourquoi ?
-Je pensais que tu pourrais me répondre, en fait. »
J’avais bien une explication. Doute sur la véracité de celle-ci.
« C’est à ça que je pensais avant que tu ne m’agresses, il y a quelques minutes.
-Tout de suite, une agression…
-Je sortais de partiels, moi.
-Je n’aime pas du tout ce moi !
-Je fais ce que je veux. »
Puéril à souhait, comme échange.
Libérateur.
Elle se rapprocha de moi. Ses yeux étaient illuminés par le soleil. Sa chevelure brune encadrait son visage dessiné par un Dieu inspiré. Elle était vraiment très belle. Et elle faisait griller mon cerveau, aussi.
« Et tu es parvenu à une réponse ? »
Elle se rapprocha encore. Gorge en feu, soleil, fête dans le ventre. Cœur au bord de l’implosion.
« Je pense que oui.
-Laquelle ?
-Celle-là. »
Je l’approchais encore un peu, et l’embrassa.
Toujours la gorge en feu, et le reste.
Mais j’étais heureux comme jamais.
-Elle me convient.
A moi aussi. Nos lèvres s’unirent à nouveau, consacré par le soleil.
C’est comme ça, que j’ai découvert ce que signifiait « vivre »